Mardi 26 avril 2022 j'ai animé une conférence dans le cadre d'une rencontre de la paix avec des membres de l'association CIEUX et l'association internationale l'Ambassadrice
Il était question d'aborder les bienfaits de l'éducation au vivre-ensemble avec des membres de différentes cultures et croyances
J'ai partagé l'expérience des groupes de réflexion avec les élèves de mon école, des jeunes qui me disent toujours qu'une société se construit mieux lorsque les citoyens cultivent l'empathie.
Dans une école parisienne, le conseil de discipline a exclu temporairement des élèves. Des élèves classiques : ni les plus difficiles, ni les plus tendres.
Ces jeunes ont été sanctionnés parce qu’après le cours d’histoire sur la Seconde Guerre mondiale, ils ont trouvé que c’était génial de dédramatiser toutes les horreurs. Alors, ils ont pris à partie leur camarade juif qu’ils taquinent avec des saluts nazis, des croix gammées et des paroles qui font frémir.
L’histoire s’est bien terminée heureusement, c’est normal pour un lieu où se forgent les consciences des hommes et des femmes sur lesquels repose l’histoire d’une nation. Les élèves ont aussitôt reconnu qu’ils sont allés trop loin. Personnellement, j’ai cru en leur sincérité lorsqu’ils ont dit que c’était juste pour s’amuser. Pour eux, c’était vraiment un jeu.
En classe de 6e, j’ai mis en place une activité qui consiste à s’inspirer des dix commandements pour en créer d’autres qui serviraient à réguler la vie sociale en classe ou en France. Je remarque alors qu’un groupe discute très vivement sur le choix des mots. Je m’approche et comprends ce qui se trame. Un élève voulait écrire ceci : tu ne seras pas raciste. Son camarade, indigné comme jamais, lui rétorquait : mais non, ce n’est pas possible, ça ce n’est pas un commandement. On peut hésiter à tuer un terroriste pour éviter qu’il ne tue d’autres personnes. C’est pourquoi c’est un commandement. Mais le racisme, à quel moment tu as une option ?
Je peux dire que ceux qui ont été sanctionnés pour des saluts nazis ne sont pas très différents de ceux qui pensent que le racisme est si inconcevable que nous n’avons plus besoin des lois pour nous en protéger. Le point commun entre ces deux groupes de jeunes, c’est peut-être la naïveté. D’une part, on croit pouvoir rire de tout aujourd’hui et d’autre part, on croit que l’humanité a suffisamment tiré des leçons du passé pour ne plus tomber dans ses propres travers. De quel passé ?
D’un passé que ces jeunes, moi y compris, nous n’avons pas directement connu : le commerce des esclaves, les deux guerres mondiales, les camps de concentration, la colonisation… pour ne citer que ces aspects les plus irrationnels. Un passé qui, dans ses phases les plus controversées, semble fasciner aujourd’hui beaucoup de jeunes.
Certains font des blagues avec des saluts nazis, mais beaucoup d’autres s’engagent et vont plus loin. La campagne électorale qui vient de s’achever a montré le visage des dizaines de milliers de jeunes. Des étudiants, des jeunes cadres, une jeunesse qui étonne par l’énigmatique rêve de ramener la société à ses tares du passé, ces brigandages qu’ils parcourent pourtant en classe, dans les associations, sur les stèles, les plaques commémoratives, les livres, les reportages, les films, tous ces supports si riches en témoignages édifiants pour nous éviter le pire.
Bien sûr, ces jeunes sont loin d’être la majorité. Ils sont très peu nombreux. Sur 1000 il y’en a peut-être un seul. Je ne suis pas dans le pessimisme ni dans le défaitisme mais ce serait bien trop naïf de croire que le vivre-ensemble va de soi et que nous avons suffisamment tiré des leçons du passé.
Je vous partager les conclusions deux exercices que je fais régulièrement avec les élèves dans le cadre du vivre ensemble et de l’interreligieux.
Le premier consiste à écrire au tableau une liste de religions qu’ils connaissent : bouddhisme, christianisme, islam, judaïsme… je leur demande alors de choisir la meilleure religion. Si M. BAMOGO pose la question, c’est qu’il y en a une. Mais laquelle ? Après un temps d’hésitation, les premières mains se lèvent timidement soit pour tomber dans le piège, soit pour l’éviter habilement. Dans la majeure partie des cas, les jeunes rappellent les principes de la liberté de conscience, la liberté de croire, les principes élémentaires de la laïcité et la nécessiter de respecter la croyance des autres. J’ai rarement de mauvaises surprises.
Pour le deuxième atelier, je m’inspire librement d’un jeu qui s’appelle les Derdians. Il s’agit de répartir la classe en deux groupes : grosso modo, les ingénieurs et les villageois. Les ingénieurs ont pour missions d’aider à construire des ponts dans le village qui les accueille. Les villageois adorent les étrangers, mais exigent d'être respectés.
Par exemple : dans le mode de communication des villageois, ceux-ci ne disent jamais « non ». Toujours oui. Aussi, ce sont les femmes qui donnent l’autorisation aux hommes pour se parler. Ou encore, les femmes et les hommes n’utilisent pas les mêmes outils au travail. Ou encore, pour se saluer, il faut se toucher l’épaule droite. Toute autre forme de civilité, par exemple se serrer la main, est une insulte grave qui met en colère les villageois. Je rappelle qu’ils n’expliquent jamais leurs règles : nul n’est censé ignorer la loi dit-on.
Quant aux ingénieurs, ils ont un impératif : réussir la construction des ponts ou aller au chômage.
Toutes les conditions sont ainsi réunies pour un mélange explosif. Dans certaines classes, j’ai eu des ingénieurs qui ont fini par quitter le jeu, très énervés. D’autres ont failli en venir aux mains. La plupart d’entre eux n’ont pas réussi leur mission. Quelques fins observateurs ont fini par percer le secret des villageois.
A la fin de la séance, nous discutons avec les élèves sur les leçons tirées du jeu. Et voici en dix points les principaux éléments qui ressortent de ce qu’ils retiennent :
La rencontre des cultures se fait très rarement sur un terrain neutre. Il y a toujours des autochtones et des étrangers.
Chez les autochtones, tout le monde ne respecte pas les règles : dans le jeu, certains villageois oublient les règles ou font le contraire ; ce qui ne facilite pas l’intégration des étrangers
De façon générale, la majorité des autochtones accueille avec bienveillance les étrangers
Les étrangers ont généralement du stress ou des problèmes que les autres ignorent
Les étrangers doivent s’adapter aux autochtones : ils sont perdus au tout début
Les autochtones aussi doivent s’adapter : les nouveaux venus bousculent leurs habitudes. Ce n’est pas facile de changer des habitudes du jour au lendemain
Il faut que tout le monde s’adapte : cela ne se fait pas d’un claquement de doigts
Sans communication, même avec les meilleures intentions, c’est la mort pour tous : dans communication, il y a dialogue
Être différent, c’est un droit naturel : comprendre cela, c’est un devoir.
Une société se construit mieux lorsque chacun apprend à se mettre à la place de l’autre
Les élèves apprécient toujours ce jeu car ils comprennent d’eux-mêmes les enjeux du vivre-ensemble. Ils tirent par eux-mêmes les bienfaits du vivre-ensemble et de l’interreligieux.
Pour illustrer cela, je partage un vécu personnel.
Je suis originaire du Burkina Faso, un pays déchiré par les tristes exploits d’une bande armée que j’ai du mal à nommer. Pour faire simple, on les appelle terroristes.
A partir de 2016, ils ont mis à feu et à sang le pays, semant la désolation du nord au sud et de l’est à l’ouest. Ils ont commencé par cibler des chrétiens en laissant des indices pour faire croire que les attaques viennent de la communauté musulmane. Après chaque attaque, les habitants se retrouvent au cimetière, de toutes religions pour enterrer leurs morts et pleurer ensemble tout en se disant : « les musulmans avec lesquels nous vivons sont nos frères. Il n’y a pas de raison qu’ils nous tuent. Nous ne pouvons nous venger… »
Les terroristes reviennent plus tard et ciblent des musulmans, puis des Peuls, puis des Mossis, puis des Samos, avec à chaque fois, les mêmes indices, pour faire accuser soit une ethnie, soit une religion, soit un village. A chaque fois, ils font toujours face au courage des citoyens, hommes, femmes, croyants et non croyants, jeunes et moins jeunes, qui s’unissent pour rester forts contre le mal et contre la tentative de expéditions punitives. Ce n’est pas toujours facile.
Dès lors, les terroristes ne font plus distinction : dès qu’ils entrent dans un village, ils tirent sur tout ce qui bouge avec l’impression de dire : « nous avons voulu vous diviser, mais vous restez unis. Alors on vous massacre tous. » C’est pourquoi aujourd’hui, beaucoup de villages au Burkina sont vides, vides de leurs habitants qui ont résisté et qui continuent de résister jusqu’au bout afin que les germes de l’ethnicisme, de la xénophobie et des guerres de religion ne puissent trouver de terreau.
Parler de bienfaits de l’éducation au vivre-ensemble et au dialogue ressemble fort à un pléonasme, tant il est vrai que sans la possibilité de vivre ensemble, aucun bienfait n’est possible ; sans dialogue, aucun vivre ensemble n’est possible. Peut-être n’y a-t-il pas d’autre bienfait que le simple fait de pouvoir vivre ensemble et différents.
C’est pourquoi j’aimerais terminer par cette courte histoire que j’ai étudiée avec les élèves de mon école :
Un vieux rabbin demandait une fois à ses élèves :
- à quoi reconnaît-on le moment où la nuit s’achève et où le jour commence ?
- Est-ce lorsqu’on peut sans peine distinguer de loin un chien d’un mouton ?
- Non, dit le rabbin.
- Est-ce quand on peut distinguer un dattier d’un figuier ?
- Non, dit le rabbin.
- Mais alors, quand est-ce donc ? demandèrent les élèves, excédés de ne pouvoir répondre à une question si simple.
Le rabbin répondit
- C’est lorsqu’en regardant le visage de n’importe quel homme, tu reconnais ton frère ou ta sœur. Jusque-là, il fait encore nuit dans ton cœur.